Romain Kuzniak, de la musique à la tech, puis à l’entrepreneuriat
Romain vit à Paris, père de deux garçons. Après plus de dix ans dans la tech et une longue aventure chez OpenClassrooms, il démarre aujourd’hui un nouveau chapitre avec Ignito, une plateforme SaaS pour aider les équipes à gagner en efficience.
Mais son parcours ne commence pas dans la tech. Avant le code, il y avait… la musique.
De la musique au code
Ingénieur du son et musicien, Romain enchaîne les cachets, les concerts et un job alimentaire à la Fnac.
« Pendant dix ans, j’étais sous le seuil de pauvreté. Je gagnais 600 € par mois, plus quelques cachets. J’adorais la musique, mais c’était trop dur d’en vivre. »
Il bricole un site web pour son groupe, découvre le code. Quand la Fnac lance des plans sociaux, un ami développeur l’encourage à se reconvertir. Il tente le coup, sans trop savoir dans quoi il s’engage.
Grâce à un dispositif de formation continue à l’Université Paris-Descartes, il reprend les études à 28 ans.
« Revenir sur les bancs de l’école avec de la maturité, ça a été une année incroyable. Et surtout, j’ai tout de suite accroché au développement. »
Il décroche son premier poste dans une ESN et découvre un univers qui ne le quittera plus.
L’aventure OpenClassrooms
Romain rejoint le Site du Zéro, qui deviendra OpenClassrooms. L’entreprise est encore petite, mais déjà très suivie (2 millions de visiteurs uniques par mois).
Il arrive à un moment charnière : refonte technique, levée de fonds, changement de business model. Très vite, il prend en main la tech, puis aussi le produit et le design.
Parmi les jalons clés de ces années :
- passage des livres et pubs à l’abonnement,
- structuration de parcours de formation,
- lancement des mentors,
- accréditation RNCP,
- et surtout l’alternance en ligne, qui change la donne en rendant la formation accessible partout et à tout moment.
Côté technique, un pari risqué :
« On a implémenté une clean architecture, à une époque où il n’y avait aucune documentation. On a itéré, testé, et 12 ans après, c’est toujours l’architecture en place. »
Le passage à l’échelle
Son équipe passe de 4 à près de 180 personnes.
« Quand tu es 4, l’information est facilement accessible. Quand tu es 100, tu dois déléguer, poser un cadre, et garder une hauteur de vue. »
Il s’inspire notamment de Team Topologies et de la loi de Conway : regrouper les gens qui communiquent ensemble, réduire la charge cognitive, organiser les équipes pour que le produit reflète l’expérience utilisateur.
Mais il insiste : les plus grosses erreurs ne viennent pas de la technique.
- Recrutement : “S'il y a un doute, il n’y a généralement pas de doute”. Être intraitable sur les périodes d’essai.
- Culture : tolérer une déviation finit toujours par coûter cher.
- Pression des levées : « On te demande de recruter vite. Parfois trop vite. »
Le ralentissement et le PSE
Comme beaucoup de scale-ups, OpenClassrooms traverse une période plus compliquée. Un PSE est lancé.
« Humainement, c’est dur, parce que le processus dure plusieurs mois. Mais paradoxalement, ça a été une énorme source d’apprentissage. On s’est retrouvés plus petits, plus alignés, et on a gagné en efficience et en qualité. »
Il formalise une équation simple pour guider ses équipes :
Valeur = Effectiveness × Efficience × Qualité × People.
Chaque facteur compte autant que les autres, et s’il tombe à zéro, la valeur produite tombe elle aussi à zéro.
- Effectiveness : travailler sur les bonnes choses, c’est-à-dire les sujets qui comptent vraiment pour l’utilisateur et pour le business.
- Efficience : la façon dont on exécute, en évitant les gaspillages, les frictions, les pertes de temps.
- Qualité : produire quelque chose de fiable, robuste, maintenable, qui tiendra dans le temps.
- People : l’état de l’équipe. Motivation, engagement, conditions de travail : sans les personnes, rien ne tient.
« Tu peux être rapide et efficace, mais si tu bosses sur le mauvais problème, tu ne crées aucune valeur. Tu peux travailler sur le bon sujet, avec une super qualité, mais si ton équipe est à bout, tu n’avances pas non plus. »
Pourquoi rester 12 ans
Il aurait pu partir avant, tenté par des propositions. Mais trois choses l’ont retenu :
- Une mission forte, avec un impact concret sur des milliers d’étudiants.
- Une entreprise qui vit réellement ses valeurs.
- L’apprentissage constant, à chaque étape.
« Je ne voulais pas devenir le vieux con qui dit : “on a déjà fait ça”. Quand j’ai senti que mon enthousiasme baissait, j’ai su qu’il était temps de passer le relais. »
Ignito : un nouveau départ
Après son départ, Romain prend le temps de réfléchir. Voyager, rencontrer, s’ouvrir. Puis une évidence : lancer sa propre boîte.
Avec Ignito, il veut s’attaquer à un problème universel : l’inefficience.
Pas seulement la productivité dans les outils, mais tout ce qui fait perdre du temps : réunions inutiles, tâches mal définies, agendas éclatés.
« Ignito se connecte à tes outils existants et t’aide à identifier où tu perds du temps. L’idée, c’est d’aider les équipes produit et tech à redevenir efficaces. »
Redevenir maker
Après des années de management, il se retrouve seul à coder.
Stack : Python + Next.js, avec un gros coup de pouce de l’IA.
« La difficulté, c’était de réhabituer mon cerveau. Quand tu es manager, tu gères des infos en sessions de 5 minutes. Le code, c’est l’inverse : se concentrer longtemps sur une seule tâche. Il a fallu que je réapprenne ça. »
Autre apprentissage : réduire l’ambition.
« Avant, même en étant lean, on avait des moyens. Là, il faut simplifier, viser plus petit. »
Il travaille avec des design partners et vise une première version en octobre.
Le sujet du cofondateur
Il a cherché un cofondateur. Difficile.
« Quand tu débutes, tu fonces avec un ami. Quand tu as plus d’expérience, tu deviens exigeant : valeurs, engagement, responsabilités. Et tu veux quelqu’un d’aussi expérimenté, donc aussi exigeant. Le scope se réduit énormément. »
Il constate aussi un biais culturel :
« En France, un CEO qui vient de la tech, ça surprend encore. Alors qu’aux États-Unis, ça ne pose aucun problème. »
Pour l’instant, il avance seul.
Les challenges actuels
- Livrer vite : sortir la première version à temps.
- Valider le market fit : montrer la valeur avant de lever.
- Tout faire soi-même : coder, vendre, pitcher, parler aux clients, gérer les VCs.
- Encaisser les hauts et bas : garder le cap malgré les montagnes russes.
Mais c’est aussi ça qui le stimule :
« Finalement, ma zone de confort, c’était devenu le scale. Là, je suis au tout début, et c’est une autre adrénaline. »
Ce que la reconversion lui a apporté
- L’habitude de rester en mode apprentissage permanent.
- Une sensibilité à l’harmonie héritée de la musique, précieuse en design.
- Une lecture fine des gens, développée à la Fnac en vendant des télés à des milliers de personnes:
- « En 20 minutes, j’apprenais à lire les gens. Aujourd’hui, ça me sert en management et en produit. »
Ses valeurs aujourd’hui
- Intégrité et justice.
- Etre tout simplement bon.– dans ce qu’on fait et dans la relation aux autres.
- Get shit done.
Son conseil
- Pour un CTO : poser un cadre, rester aligné sur les valeurs, apprendre à déléguer
- Pour une personne en reconversion : être curieux et rester en mode apprentissage.
« Être curieux et travailler, c’est le meilleur conseil que je puisse donner. »
En conclusion
Le parcours de Romain raconte plusieurs choses :
- Qu’une reconversion est possible, même sans bagage initial, si on garde la curiosité et l’envie d’apprendre.
- Que la croissance d’une scale-up n’est jamais une ligne droite, et que les erreurs de management pèsent plus lourd que les choix techniques.
- Qu’après avoir dirigé une équipe de 180 personnes, il est possible et même excitant de revenir à la ligne de code et de réapprendre un nouveau métier : celui d’entrepreneur.
Une trajectoire faite d’apprentissage permanent, de résilience et d’intégrité.
Ignito n’en est qu’au début, mais une chose est sûre : Romain n’a pas fini d’apprendre, ni de surprendre.
Merci à Romain pour cet échange riche, sincère et inspirant





