Retour d’expérience : 6 ans en tant que CTO chez Taster
Interview CTO
Le contexte : pourquoi cette interview ?
Chez Bluecoders, on accompagne des startups et scale-ups dans le recrutement tech. Mais ce n’est pas qu’une question de trouver des développeurs : c’est comprendre ce qui fait qu’une équipe fonctionne ou non.
C’est pour ça qu’on lance une série d’interviews : donner la parole à ceux qui vivent la construction d’équipe tech au quotidien. Sans blabla ni punchlines LinkedIn. Juste du concret.
Qui est Dayvid ?
Dayvid a un parcours atypique et assumé : alternance pour plonger vite dans le concret, création d’une première boîte, passage par Artefact où il découvre la data et le conseil.
Puis il rejoint Taster, une startup foodtech qui invente un modèle inédit à l'époque : des restaurants 100 % digitaux, conçus pour la livraison et le click & collect.
Leur promesse : offrir une expérience vraiment pensée pour la livraison (produits adaptés, qualité constante, rapidité), tout en permettant à des restaurateurs partenaires de rentabiliser leurs cuisines grâce à un modèle de franchise.
Pourquoi c'était un enjeu tech ?
Pour scaler ce modèle, Taster devait automatiser toute la chaîne : prévisions de commandes, gestion des matières premières, intégration avec Deliveroo/Uber Eats, outils pour les cuisines, applications B2C. Sans une équipe technique solide, tout ça restait du bricolage.
« Quand je suis arrivé, il n’y avait rien ou presque. Leur algorithme de prévision, c’était un mec qui faisait des copiés-collés toute la semaine. »
Construire une équipe tech de zéro
Quand il arrive chez Taster, Dayvid a une conviction : la réussite viendra d’une équipe très senior, soudée, capable de tout faire.
« J’ai recruté quatre profils très seniors, presque tous avec un passé en conseil. Ce n’est pas anodin : ils savaient vulgariser, comprendre un besoin, s’adapter, monter en compétence rapidement. Et surtout, ils savaient tout faire, parce qu’on ne pouvait pas avoir des étiquettes fermées à 5. »
Avec une vision :
« J’avais déjà présenté aux investisseurs un plan sur 6-12 mois : les rôles, les projets et leur impact business. C’était ça le plus important pour convaincre et obtenir le budget. »
Quand une équipe fait la différence
Un des meilleurs exemples de l’impact business de la tech chez Taster ?
Le projet Click & Collect.
Initialement jugé trop coûteux et abandonné, Dayvid et son équipe décident de le relancer en pirate pendant un hackathon. En une semaine, ils développent une première version ultra-simple : une borne de commande sur iPad, reliée à leur menu manager, sans frais lourds d’infrastructure.
« Avant, un client qui venait sur place devait quand même commander sur Deliveroo ou Uber Eats, payer des frais, attendre. Avec notre borne, c’est 200 € à déployer, et ça enlève toute friction. »
Résultat : 5 à 10 % du CA généré en Click & Collect deux ans plus tard, et un véritable argument pour convaincre des restaurants avec pignon sur rue.
« Ça a transformé le modèle. Au lieu de chercher uniquement des dark kitchens planquées, on a pu séduire des restaurateurs visibles. »
Manager dans les hauts... et les bas
Tout n’a pas été linéaire. Après une phase de forte croissance, Taster subit les effets combinés de la crise économique et d’une pression accrue sur la rentabilité.
« On a dû réduire l’équipe. Humainement, c’est le plus dur. Tu annonces à des gens qui venaient d’arriver qu’on ne peut pas les garder. Tu dois justifier, expliquer. Et ceux qui restent, ils voient que la boîte n’est pas si solide. Il faut reconstruire la confiance. »
Dayvid raconte que c’est là qu’il a compris tout ce que voulait dire le rôle de CTO : ce n’est pas seulement recruter, scaler ou choisir la bonne stack. C’est porter des décisions lourdes, parfois très impopulaires, et assumer la responsabilité de garder l’équipe soudée malgré tout.
« C’est facile de briller quand tout va bien. C’est dans ces périodes-là que tu apprends ce que c’est vraiment d’être CTO. »
Pour passer ce cap, il a dû tout revoir : être plus transparent sur la situation de la boîte, expliquer pourquoi on arrêtait des projets, redonner du sens à ce qui restait prioritaire.
« Il faut accepter de dire : “On va moins vite. On fait moins de choses. Mais on les fait mieux.” Et il faut que l’équipe comprenne pourquoi. Ça veut dire parler beaucoup plus, écouter, expliquer, et aussi accepter qu’on perde des gens. »
Il souligne aussi le poids psychologique :
« Tu dors mal, tu cogites tout le temps. Mais tu n’as pas le choix. Ta responsabilité, c’est de prendre ces décisions pour que la boîte survive. Même si c’est hyper ingrat sur le moment. »
Pour lui, cette période a été la plus formatrice de toute son expérience :
« Recruter vite, c’est grisant. Réduire et assumer, c’est dur. Mais c’est là que tu deviens vraiment un manager. »
Recruter les bons profils
Avec le recul, Dayvid reconnaît qu’il referait certaines choses différemment.
« Je pense qu’on a juniorisé trop tôt. C’est un investissement qui a du sens, mais il faut le faire au bon moment. Avant, il faut construire une équipe cœur très senior, très autonome. »
Il explique qu’une équipe trop junior demande un encadrement quotidien, des itérations supplémentaires, et que ce temps n’est pas toujours disponible quand la roadmap s’accélère ou que les enjeux financiers se tendent.
« Quand tu dois scaler vite et livrer, il te faut des gens qui savent déjà faire. Et quand t’as moins de budget, c’est encore plus vrai. Tu dois pouvoir compter sur eux pour réfléchir et exécuter sans tout revoir derrière. »
Il raconte aussi la réalité terrain de la chasse :
« Recruter, c’est pas balancer des CV. Je faisais 100 entretiens en un mois. Mais je savais exactement ce que je cherchais. Je regardais la curiosité, la capacité à vulgariser, le fit humain. Et surtout, je vendais la vision. Pourquoi c’était intéressant, pourquoi ça comptait. »
Pour lui, c’est ça la clé :
« Si tu veux recruter des top profils, tu ne vends pas un poste. Tu vends un projet. »
À retenir ?
1️⃣ Rester proche du business
« C’est pas ton jouet. Tu construis pour résoudre des problèmes réels. Il faut écouter le produit, le terrain. »
2️⃣ Ne pas prévoir trop loin
« Au-delà de six mois, c’est faux. Il faut être prêt à adapter la roadmap. »
3️⃣ S’entourer de gens différents, penser collectif
« Je n’étais pas seul. J’avais un conseil informel, mes bras droits. Ils pensaient différemment. Ça évite les mauvaises décisions. »
Conclusion : c’est quoi être CTO ?
« C’est pas juste coder ou décider. C’est arbitrer. Prendre des risques. Donner du sens. Et savoir aussi dire non. »
Cette série d’interviews, c’est pour ça qu’on la lance. Pas pour donner des leçons. Mais pour partager ces retours d’expérience, aider d’autres boîtes à se poser les bonnes questions.





