Rendre la data utile : une décennie d’apprentissage avec Sophie Buresi
Interview CTO
10 ans dans la data, de la hype à l’impact. Sophie a accompagné les transformations data chez Artefact, LVMH, Etam, et plus récemment en mission chez Pernod Ricard.
Conseil, client final, freelance : elle a expérimenté les trois postures, avec un fil rouge clair, créer de la valeur business grâce à la donnée. Dans cet entretien, on a parlé architecture, IA, recrutement, politique interne, stack, cost control et vision stratégique.
Conseil, client, freelance : trois postures, trois réalités
Ce que Sophie retient de son passage en conseil, c’est la capacité à passer de sujets stratégiques à opérationnels sans transition. « On te forme à faire le grand écart : parler roadmap data avec un CDO le matin, puis débloquer un script SQL l’après-midi. »
En entreprise, la réalité change : tu gères un P&L, tu arbitres des budgets, tu confrontes ta vision à des cycles politiques. « Tu comprends pourquoi les choses ne vont pas aussi vite qu’on voudrait en conseil : il faut convaincre, aligner, arbitrer. »
Aujourd’hui en freelance, elle navigue entre ces deux mondes : rapidité d’exécution d’un côté, compréhension des rouages internes de l’autre. Un équilibre enrichissant, mais exigeant : « Tu n’as plus les rênes, tu coordonnes, tu influences sans trancher. »
Artefact : apprendre à tenir debout à 25 ans
« J’étais directrice à 25 ans. Je gérais des comptes à plusieurs centaines de milliers d’euros pour des groupes du CAC 40. Clairement, je n’avais pas la maturité pro pour tout gérer à la perfection. Mais j’ai appris. Et ce qui faisait tenir l’ensemble, c’était cette équipe de guerriers qui avait été recrutée. »
Chez Artefact, elle apprend à structurer, à livrer vite, à manager jeune. Les process sont solides, les attentes élevées, le niveau global impressionnant. « Le process de recrutement était exigeant, impliquant les équipes. Ça formait un vrai moule Artefact gage de qualité. »
Mais ce moule a ses limites. « Quand on recrute des gens qui se ressemblent — avec un ciblage assez fort sur les tops écoles de commerce ou d’ingé — on gagne en vitesse, mais on prend le risque de créer une culture trop homogène. Ça marche au début. Mais pour scaler, il faut ouvrir. Les clients ne te ressemblent pas forcément. Et encore moins à l’international. »
Data & IA chez ETAM : le terrain, pas la théorie
Quand Sophie rejoint ETAM, la mission est claire : créer une direction data from scratch. En trois streams :
- Passer du reporting au pilotage : « Toutes les entreprises remontent des chiffres. Très peu prennent des décisions avec. »
- Optimiser le business avec des cas d’usage IA ciblés
- Explorer les potentiels de la GenAI : génération d’assets marketing, photos éditoriales IA, optimisation des shootings e-commerce
Les cas d’usage sont concrets, orientés ROI :
- Prévision des ventes à 18 mois
- Répartition intelligente des stocks en magasin (prise en compte du flux réel, des travaux à proximité, etc.)
- Optimisation des campagnes promo (moins linéaire, plus personnalisée)
- Reco produit sur le site e-commerce
- Mix marketing modeling (allocation budget média)
- Génération d’assets IA pour les visuels produits
La stratégie ? Ne pas tout faire et se concentrer sur ce qui est le plus coeur business et spécifique. « On a mis nos efforts en interne sur les sujets cœur business, comme la supply. Sur le reste, on a externalisé. »
Structurer une équipe data dans une boîte retail : enjeux concrets
Chez ETAM, l’équipe Data Factory monte jusqu’à 20 personnes, réparties en 4 pôles :
- Data Tech (plateforme, ETL, APIs)
- BI (équipe historique)
- Data Value (DS, PM, analytics engineer)
- Data Governance (embryon d’équipe, mais essentiel)
Un modèle hybride : internes + freelances. « Mais attention : si ton run repose sur du freelance et que ton budget capex saute, tout s’écroule. Il faut toujours penser à l’internalisation. »
Ce que l’IA change vraiment
La GenAI, pour Sophie, c’est un double effet :
- Nouveau terrain de jeu pour générer de la valeur : automatisation, créativité, rapidité.
- Nouveau risque si elle est mal utilisée : « N’importe qui peut prompt un LLM et sortir des insights. Mais sans culture data, tu crées des erreurs d’analyse. »
La clé ? Ne pas freiner l’usage, mais encadrer. « Il faut accompagner, former, poser une gouvernance légère mais réelle. Et il faut des gens capables de challenger les prompts, les résultats, les interprétations. »
Elle alerte aussi sur un point souvent sous-estimé : le coût organisationnel du passage à l’échelle. « Les POC sont sympas, mais pour scaler, il faut de l’infra, des profils solides, du run, une vraie gouvernance. Sinon, ça reste un effet de mode. »
Recruter en data : le vrai défi, ce sont les bons profils seniors, curieux, autonomes
Sophie le dit clairement : « Ce n’est pas le métier qui est dur à recruter, c’est le niveau. Les bons profils sont chers, déjà captés, ou très exigeants. »
Son besoin ? Des profils hybrides, seniors, mais qui gardent les mains dans le cambouis. « Tu n’as pas les moyens de recruter un profil par techno. Tu as besoin de gens capables de couvrir plus large, sans perdre en exigence. »
Et pour les garder ? « Donner du sens, les nourrir intellectuellement, leur donner de l’autonomie, ne pas manager en top-down. Et être sympa, tout simplement. »
Sa vision du management : débloquer le terrain, pas tout contrôler
Son approche : un management “à la curling”. « Mon rôle, c’est de balayer devant pour aider l’équipe à avancer dans la bonne direction. »
Elle se définit comme exigeante, mais bienveillante. Pas de contrôle permanent, mais une attente claire de qualité, d’engagement, et de transparence. « J’aime quand les gens prennent des décisions seuls. Mais je suis là quand il faut. »
Et maintenant ? Vers les startups… ou ailleurs
Sophie ne veut pas juste “revenir en CDI” en tout cas pas exactement sur le même périmètre. Elle explore. Startup studio ? Fonds ? CDO shadow ? COO data-first ? « J’ai envie de tester autre chose. D’essayer un autre clé d’entrée sur le marché de la data et de l’IA. Et il y a mille manières d’entrer dans l’écosystème startup sans forcément être fondatrice. »
Son conseil aux boîtes qui se lancent sur l’IA :
- Intégrer la gouvernance data dès le début : « Le rattrapage est toujours plus coûteux que la bonne base. »
- Faire de l’IA une brique produit, pas un effet de style
- Faire appel à du conseil… avec modération : « Ça va trop vite pour tout faire en interne, mais il faut garder les compétences en interne sur le long terme. »
Outils, stacks, coûts : la rigueur frugale
Sophie recommande les stacks cloud classiques (moderne data stack), mais alerte sur les coûts. « De plus en plus de startups reviennent à des infras auto-hébergées une fois qu’elles ont prouvé la valeur. Pour maîtriser les coûts, une option peut être de reprendre le management de ses infras »
Sa veille
- 📚 Medium / Linkedin
- Chad Sanderson
- Bar Mooses
- Nicolas Dessaigne
- Jean de la Rochebrochard
- …
- 🎙️ Podcasts :
- Another podcast de Benedict Evans
- Data de Robin (pro, précis, accessible)
- GDIY (moins data, mais toujours inspirant)
- Le Podcast de Pauligne Laigneau (moins data, mais profils inspirants, développement personnel)
- 👥 Partages réguliers entre pairs pour benchmarker outils, orga, stacks
Travailler avec Sophie ?
Sophie est freelance pour le moment. Elle intervient sur des missions de structuration, d’organisation data/IA, ou de direction de projet.
Son TJM varie entre 1000 et 2000€, selon le contenu, la durée, et l’intérêt mutuel.
Conclusion
Ce genre d’échange me rappelle pourquoi j’aime ce métier : découvrir des parcours qu’on ne peut pas inventer, des visions construites sur l’expérience, pas sur des buzzwords.Sophie coche toutes les cases qu’on cherche chez un ou une head of data : vision stratégique, exigence terrain, sens du collectif.Et elle le fait sans jamais se donner de grands airs. Juste en bossant bien.
Merci Sophie !