« Construire une équipe tech dans la santé : conversation avec Nicolas, CTO et cofondateur de Klineo
Quand Nicolas se présente, on sent immédiatement le profil structuré, calme et pragmatique :
« J’ai toujours aimé comprendre comment les choses fonctionnent »
Il commence par le début :
« Je suis ingénieur de formation. J’ai fait une prépa puis une école d’ingé, et c’est là que j’ai vraiment découvert l’informatique… mais toujours avec un prisme data. J’avais une formation très maths au départ. »
Cette première graine le mène jusqu’à Boston, où il fait un master en machine learning :
« C’était il y a une dizaine d’années. L’IA était déjà un sujet très hot dans le milieu académique, même si c’était loin d’être aussi grand public qu’aujourd’hui. »
Après Boston, il part à San Francisco, chez Salesforce :
« J’ai rejoint une petite équipe issue du rachat d’une startup. On était très spécialisés IA et data science. C’était un environnement hyper challengeant. L’équipe a grossi vite, on apprenait tous les jours. »
Il y reste un an et demi avant de revenir en France.
Deux expériences marquantes l’attendent : AnotherBrain, puis Iktos.
« AnotherBrain, c’était très recherche. L’objectif était de miniaturiser de l’IA embarquée, inspirée du fonctionnement du cerveau pour automatiser des process manuels en usine. Super intéressant intellectuellement, mais trop peu appliqué pour moi. »
Il enchaîne ensuite sur Iktos, une startup deeptech dans la santé :
« Là, j’ai adoré. On développait des modèles génératifs pour identifier des molécules candidates aux futurs médicaments. C’était la première fois que je me frottais à la santé à grande échelle. Un mix parfait entre recherche et développement, parce qu’il y avait un vrai produit utilisé par de vrais chimistes. »
Mais même là, quelque chose manque.
« La biologie, la chimie… c’est passionnant, mais hyper dur à maîtriser. C’est des domaines où les experts ont dix, douze ans d’expérience. Je voulais revenir sur un sujet où je pouvais comprendre plus vite, être plus utile. Et puis j’avais envie de me rapprocher d’un impact plus palpable, un truc dont on comprend immédiatement les enjeux humains. »
« Klineo est arrivé au bon moment »
C’est à ce moment-là qu’il recroise un ancien camarades : Thomas qui se lançait dans un projet en santé avec Arnaud, oncologue médical.
« Ils parlaient déjà du problème des essais cliniques. C’est un enfer pour les médecins et pour les patients d’avoir accès à la bonne info au bon moment. Ils avaient la vision métier et business, il manquait la vision tech. L’alignement était parfait. »
Il résume simplement :
« Aujourd’hui, un oncologue peut mettre une heure juste pour vérifier si un patient est éligible à un seul essai clinique. Il y en a des milliers. C’est impossible de faire ça pour tous les patients. »
Klineo propose une plateforme capable :
- de chercher en moins d’une minute un essai clinique pour un patient
- d’agréger les essais cliniques depuis différentes sources
- de standardiser des données médicales hétérogènes
- d’accélérer tout le workflow d’adressage dans un essai clinique
- de sécuriser l’échange des données médicales d’un patient
« En France, on a plus de deux tiers des oncologues qui utilisent Klineo, la pénétration est très forte. »
La startup s’est ouverte récemment en Europe, avec la Belgique, l’Allemagne et l’Italie.
« Nos plus gros défis, c’est la donnée, la donnée, et la donnée »
Lorsqu’on lui demande quels sont les enjeux techniques, il ne cherche pas des formulations compliquées :
« Les essais cliniques, c’est de la donnée non structurée, publiée sur plusieurs sites, jamais de la même manière, mise à jour à des fréquences différentes, avec un contenu médical souvent très pointu. C’est infernal. »
Il détaille :
« Une source va avoir la date de mise à jour. Une autre aura les critères d’inclusion. Une autre les interventions. Une autre les centres d’investigation… Il faut tout réconcilier. C’est énorme. »
Ensuite vient le moteur de recherche, qu’il décrit comme le cœur du système.
« Au début, ça pouvait prendre cinq à dix secondes pour sortir un résultat. Maintenant, on est quasiment à moins d’une seconde. C’est un vrai milestone. »
Comment ils y sont arrivés ?
« On avance toujours de manière pragmatique : on sort une version, même imparfaite, pour tester l’usage. Puis on l’améliore. On préfère mettre un truc dans les mains d’un médecin, même pas parfait, plutôt que de chercher la perfection. Mais attention : dans la santé, le “pas parfait” doit quand même être très solide. Un médecin qui voit quelque chose de bancal perd instantanément confiance. »
L’arrivée des LLM : opportunités et danger
Pour standardiser et enrichir la donnée médicale, Klineo utilise aussi des modèles IA avancés.
« Les LLM sont très puissants, surtout pour comprendre du texte médical non structuré. Ils embarquent une expertise médicale énorme. Ça permet d’aller vite sans avoir un médecin derrière chaque transformation. »
Mais il met un gros warning :
« Il ne faut jamais laisser un modèle prendre une décision quand la donnée n’est pas là. Jamais. Tu peux vite te retrouver avec un LLM qui hallucine une info parce qu’il pense qu’elle “devrait” être là. Donc le challenge, c’est de détecter précisément : la donnée existe ou pas ? Et si elle n’existe pas, qui doit décider ? L’humain ou l’IA ? »
« Ce qui m’a le plus challengé, c’est de recruter mes premiers devs »
Il rigole quand il repense à cette période :
« Franchement, c’était dur. Je ne suis pas développeur web. Je code, j’adore ça, mais je viens de la data. Le front, le back, c’était tout nouveau pour moi. Et je devais recruter les premières personnes de l’équipe. »
Il raconte avoir passé des semaines à sourcer des devs partout :
« On m’a dit un jour : un CTO qui recrute, c’est 70 % de son temps. Je pensais que c’était une blague. Ce n’était pas une blague. »
Pourquoi c’était si difficile ?
« Déjà, l’écosystème dev, c’est ultra varié. Les parcours n’ont rien à voir. Et un bon CV ne veut pas dire un bon dev. Il faut screener. Et screener, ça veut dire parler à tout le monde. »
Ce qu’il a appris :
« Aujourd’hui, j’ai l’œil. J’ai compris quelles boîtes ont une vraie culture tech. J’ai compris quels signaux montrent qu’une personne va monter vite. Et j’ai une méthodo béton : un canevas de questions, un timing, des étapes claires. »
Une nouveauté récente qui l’a beaucoup aidé :
« Les ref calls. Avant, je n’en faisais jamais. Maintenant, ça m’aide à arbitrer quand j’hésite. Sur mon dernier recrutement, ça m’a permis de trancher plus sereinement. »
Une erreur qu’il referait différemment
« Je pense qu’on a perdu du temps sur la data analytics. Dès le début, on étaot convaincu qu’il fallait avoir une stratégie data-driven pour itérer sur notre produit. Mais on a commencé avec des dashboards à la main en Python. Ça marchait, mais ça ne scallait pas car il y avait une barrière à l’entrée ( = le code) pour contribuer donc tout devait passer par la tech. Puis on a mis en place Metabase, ce qui a permis à tout le monde (product, business, ops, …) de mettre la data au coeur de leur décision.»
Il sourit :
« Ce n’est même pas que ça aurait pris plus de temps de bien faire les choses. C’est juste qu’on ne s’est pas posé la question. On est allés trop vite. On savait que ça marcherait, alors on l’a fait. Et finalement, avec une autre techno tout était tout de suite beaucoup plus facile et instantané. »
Leçon :
« Toujours regarder les nouveaux outils avant de se lancer et parler à d’autres qui sont passés par là. Toujours. »
La veille : un réflexe vital
« Avant, faire de la veille, c’était intéressant. Aujourd’hui, c’est vital. Tout bouge trop vite. Chaque semaine, tu as un nouveau modèle qui sort. Gemini 3, Llama, OpenAI... Il faut rester à jour, sinon tu te fais dépasser en quelques semaines. »
Ses ressources préférées :
- Hacker News (Y Combinator)
« C’est très tech, mais hyper riche. Je la lis religieusement chaque semaine. »
- Des podcasts, souvent en faisant du sport :
« J’écoute Génération Do It Yourself, Data 101… et d’ailleurs j’ai même fait une intervention sur Data 101. »
- Des communautés Slack
« Modern Data Network, TechRocks… Ce sont des mines d’or. Tu as des gens qui posent exactement les questions que tu te poses, et tu peux faire des recherches dans le Slack pour tomber sur des discussions ultra pointues. »
- Des conférences
« Avant, c’était AI For Health. Aujourd’hui ça s’appelle Adopt AI. C’est toujours génial. »
Juniors, seniors : deux défis très différents
Je lui demande ce qui fait la différence entre un bon développeur junior et un bon développeur senior aujourd’hui.
Sa réponse est limpide.
Pour les juniors :
« Le danger, c’est de se reposer sur les assistants de code. Ça te donne l’impression que tu avances vite, mais si tu ne comprends pas ce qui est généré, tu n’apprends rien. Il faut avoir le réflex de tout questionner, tout relire, garder un sens critique énorme. »
Pour les seniors :
« Le risque inverse : rester sur ses acquis. Se dire “j’ai essayé cette techno une fois, 50 % étaient nuls, donc je n’y retourne pas”. Non. Il faut creuser, se mettre à jour, comprendre comment bien les utiliser. Les LLM ne seront pas une option. Il y aura un vrai gap entre ceux qui les adoptent bien, et tous les autres. »
Ce qui lui plaît le plus : résoudre, transmettre, comprendre
Il raconte aussi son expérience d’enseignant au Wagon :
« On montait des formations deep learning pour des entreprises. C’était super. Expliquer des concepts, c’est un bon test : si tu n’arrives pas à les expliquer, c’est que tu ne les as pas vraiment compris. »
Et son rôle de business angel :
« J’adore l’entrepreneuriat. J’investis dans des projets avec pour thématique principale la santé, l’IA ou l’impact. Pas avec de gros montants, mais assez pour aider. Souvent, je fais des intros, je conseille sur le recrutement. Et j’adore échanger avec les fondateurs, suivre leurs newsletters trimestrielles. Ça te garde proche de l’innovation. »
Ses valeurs : persévérance, confiance, exigence, impact
Lors d’un offsite récent, l’équipe Klineo a formalisé ses valeurs. Il en parle avec beaucoup de naturel.
« La persévérance, c’est indispensable. Nos utilisateurs sont des médecins très occupés. Avoir leur feedback, ça peut prendre des semaines. La donnée clinique est difficile. Rien n’est simple. »
« La confiance, c’est essentiel. Dans l’équipe, il n’y a pas de politique, pas de compétition. Et côté utilisateur, on est sur des données hyper sensibles. Le produit doit être impeccable. »
« L’exigence, oui. Même si on fait des versions imparfaites, la barre reste haute. Un oncologue ne pardonnera pas une expérience médiocre. »
« Et l’impact… c’est notre raison d’être. À chaque nouvelle fonctionnalité, on se demande : est-ce que ça sert 1 médecin ou 1 000 ? Est-ce que ça aide réellement un patient ? Si la réponse n’est pas claire, on ne le fait pas. »
L’équipe, le management… et le plaisir
Il glisse une phrase qui résume assez bien sa vision :
« On a eu un seul départ en trois ans. Ça me rend hyper fier. »
Pourquoi ?
« Parce que dans une startup, l’équipe, c’est tout. On passe tellement de temps ensemble. Et quand tu sens que les gens progressent, qu’ils sont contents d’être là, qu’ils s’entraident… c’est le meilleur sentiment. »
Et la suite ?
« Continuer à faciliter au maximum le travail du médecin pour permettre aux essais cliniques de bénéficier à un maximum de patients. Concrètement, c’est prendre en main tous les sujets data qu’on veut craquer, mais aussi la roadmap produit qui est immense et enfin poursuivre l’ouverture à l’international. »
Il réfléchit une seconde :
« Mais je veux surtout qu’on continue sans perdre ce qu’on a construit dans l’équipe. C’est le nerf de la guerre. »
Conclusion : une conversation qui dépasse la tech
Ce qui marque dans cette discussion, ce n’est pas seulement l’expertise technique de Nicolas, pourtant immense.
C’est sa capacité à naviguer entre des mondes très différents : l’IA, la réglementation, la donnée médicale, le produit, le recrutement, l’humain.
Il parle d’optimisation de moteur de recherche et, quelques phrases plus tard, de confiance, d’impact, d’oncologues débordés, de patients qui n’ont pas de temps à perdre.
Sa vision est à la fois exigeante et profondément humaine :
« On avance par petits pas, mais chaque pas doit avoir un impact réel. »
Klineo grandit vite, s’ouvre à l’Europe, adopte les nouvelles méthodes IA… mais ce qui guide Nicolas reste étonnamment simple : apprendre, transmettre, comprendre et aider.
Un CTO qui parle sans prétention, sans jargon, sans ego.
Un CTO ancré dans le réel.
Et surtout, un CTO qui n’oublie jamais pourquoi il fait tout ça : les patients, les médecins, les équipes.





